salons et expositions

 

 

Pourvue d'une double fonction, idéologique puis commerciale, l'exposition d'œuvres d'art, organisée en France au XVIIe siècle sous l'égide de l'Académie royale de peinture et de sculpture et devenue au XVIIIe siècle le Salon, sera le lieu privilégié de l'évolution des relations entre l'artiste et le pouvoir, entre l'artiste et son public.

Dix-neuf ans après sa création, l'Académie royale de peinture et de sculpture présente, pour la première fois au public, les œuvres de ses élèves; ce faisant, elle entendait prouver "la qualité de ses membres et de son enseignement", et justifier le privilège qui lui a permis, en 1648, d'échapper aux contraintes professionnelles et économiques des corporations.

La vitrine de l'Académie

 

Interdits de tenir boutique, exclus du commerce exercé en ville par les maîtres, les académiciens, membres ou élèves agréés, n'ont alors plus d'autre moyen de se faire connaître que ces expositions tenues au Louvre, dans la galerie d'Apollon puis dans le salon Carré. Cinquante artistes exposent ainsi plus de 200 œuvres tous les deux ans jusqu'en 1683, puis irrégulièrement, selon l'actualité politique – mort de Colbert, guerre de la Succession d'Espagne –, soit dix expositions sous Louis XIV. Interrompues pendant plus de vingt ans, les expositions reprennent en 1725, sous Louis XV, avec 80 artistes exposant 500 œuvres; le Salon – appelé ainsi dès 1737 – sera pourvu d'une commission en 1746.

À côté de cette célébration officielle des artistes vivants de l'école française, qui s'affirme comme telle au début – puis tout au long – du XVIIe siècle, il n'y a guère, pour se poser en rivale de l'Académie royale, que l'académie de Saint-Luc. Cette dernière regroupe la communauté des maîtres peintres et sculpteurs de Paris. Quoique très affaiblie au XVIIIe siècle, elle formera Chardin et organisera régulièrement son Salon de 1751 à 1774 (plus de 180 artistes, 1?252 œuvres). Tous les ans, la foire de Saint-Germain est également l'occasion d'une manifestation place Dauphine et sur le Pont-Neuf. C'est à cette exposition, dite "de la Jeunesse", que Chardin présentera la Raie, en 1728. Ce sont les peintres qui dominent largement la scène de ces expositions: en 1773, sur les 479 sujets présentés, 331 sont des peintures, 65 des sculptures, 80 des gravures.

Le XVIIIe siècle voit naître une concurrence privée, faible et tenue en lisière par le pouvoir, qui la considère comme illégale et déloyale. Elle n'en joue pas moins un rôle important dans le débat sur la publicité des œuvres d'art.

 

Amateurs, jurys et marchands

Sous l'impulsion française et grâce à l'influence de marchands collectionneurs comme Crozat ou de philosophes comme Diderot et Grimm, l'Europe du XVIIIe siècle voit dans la peinture un outil éducatif du goût. Le processus qui, à la Renaissance, avait conduit les sociétés de dilettantes à créer des académies se retrouve en Angleterre: en 1752, la Society of Dilettanti fonde une académie anglaise de l'art, qui, en 1760, décide de la tenue d'une exposition annuelle. Le succès de l'événement s'accompagne de querelles qui se solderont par plusieurs scissions. À la fin de 1768 naît l'Académie royale, avec Reynolds pour président. Contrairement à ce qui s'était passé en France (ou en Russie, en 1764), où la création de l'Académie avait été une décision du pouvoir central, celle de l'Académie anglaise est le résultat de l'action d'amateurs éclairés et de connaisseurs, de ces gens qui ont fait le voyage en Italie, qui circulent dans toute l'Europe et participent à ce réseau culturel dont le Bureau de la correspondance pour les sciences et les arts de Pahin de La Blancherie, à Paris, est l'exemple type en ces années qui précèdent 1789.

Sous la Révolution, le Salon devient une exposition internationale des artistes vivants. Il se tiendra tous les ans de 1793 à 1802. Le nombre des envois ne cesse d'augmenter, et en 1798, devant l'affluence des demandes, est constitué un jury de quinze membres, qui disparaîtra deux ans plus tard. L'irrégularité des Salons, l'incohérence qui préside à la sélection des œuvres entraînent une désaffection des artistes; en 1799, David expose l'Enlèvement des Sabines pour son compte personnel en marge du Salon officiel.

En 1791, la Commune des arts, créée en 1789, réclame à l'Assemblée nationale que le Salon ne soit plus un privilège académique. C'est elle qui occupera l'espace laissé vide par la suppression des académies en 1793. La période révolutionnaire marque par ailleurs un tournant capital dans l'évolution de la clientèle: les aristocrates et les financiers de l'Ancien Régime ayant émigré, les commandes d'État et les concours étant assez rares et mal récompensés, apparaît un marché essentiellement animé par les bourgeois.

En 1795, la Constitution de l'an III crée l'Institut de France. La classe des beaux-arts, instaurée lors de la réforme de 1803, est transformée en nouvelle Académie des beaux-arts en 1816. C'est elle qui, jusqu'en 1847, va constituer les jurys sélectionnant les œuvres admises au Salon. En 1827, un premier Salon des refusés, aujourd'hui bien oublié, montre, par la médiocrité des œuvres présentées, que le jury du Salon est alors encore habité d'un libéralisme qui l'abandonnera au début des années 1830. Le jury est à nouveau supprimé en 1848, année où le catalogue du Salon affiche 5?180 numéros, dont 4?598 peintures.

Pour les critiques de l'époque, le Salon est devenu un "bazar" où les tableaux ne sont plus qu'"articles de commerce". De manifestation esthétique, le Salon s'est peu à peu transformé en une "succursale" des marchands, au grand dam de Louis Peisse et de Gustave Planche, qui fulminent dans la Revue des deux mondes. Et pourtant les marchands, de Durand-Ruel à Gaugain, s'organisent et innovent avec des expositions d'œuvres à vendre – telle celle du musée Colbert en 1829 –, des galeries des beaux-arts – boulevard Bonne-Nouvelle, en 1843 –, ou encore en créant des agences d'expertise – telle celle de Thoré en 1842.

Redevenu annuel sous la monarchie de Juillet, le Salon se tient toujours dans le salon Carré du Louvre, mais déborde dans la Grande Galerie, avant de se déplacer aux Tuileries en 1849; l'année suivante, au Palais-Royal; en 1855, dans le palais de l'Industrie, aux Champs-Élysées; enfin, en 1900, au Grand Palais. Ces déménagements ne freinent en rien l'animosité contre le jury du Salon, laquelle entraînera, en 1863, l'autorisation par Napoléon III du célèbre Salon des refusés: désormais, le Salon n'est plus une institution unique.

 

Des manifestations concurrentes

Parallèlement au phénomène parisien du Salon, dès le XVIIIe siècle s'était tissé sur le territoire national un véritable réseau d'institutions culturelles autour des académies de province, créées à l'imitation de celle de Paris. À Bordeaux, à Toulouse, des expositions d'artistes contemporains étaient organisées par ces académies locales. L'école d'art de Dijon, fondée en 1765, et celle de Lyon ont un rayonnement exceptionnel. À partir de 1830, à côté d'établissements d'enseignement dont le but avoué est d'asseoir la notoriété de leur ville et de leur région, des associations d'artistes voient le jour dans le Nord, à Toulouse, à Bordeaux, à Nantes. Sous la monarchie de Juillet, des Sociétés des amis seront à l'origine de très nombreuses expositions provinciales, auxquelles les municipalités seront étroitement associées. En 1837, Strasbourg constitue avec les villes de Darmstadt, Mannheim, Karlsruhe et Mayence une Association rhénane, dont l'objet est de faire circuler des expositions d'une ville à l'autre.

Loin de mépriser cette activité régionale, la presse nationale se fait l'écho de ces initiatives, qu'elles se tiennent à Arras, Valenciennes, Douai, Metz, Mulhouse ou Moulins. Si les artistes locaux ou originaires du pays constituent l'essentiel de ces expositions, des maîtres tels que Delacroix et Corot ne dédaignent pas d'y envoyer des toiles.

C'est dans ce même esprit que se créent, en 1847, la Société Schongauer à Colmar, et, en 1869, à l'autre extrémité de l'Europe, à Moscou, la Société des expositions itinérantes, plus connue sous le nom d'"Ambulants".

La clientèle locale – qui n'a peut-être pas des goûts très éloignés de ceux de la clientèle parisienne du Salon – apprécie surtout les scènes de genre et les portraits.

L'importance de ces mouvements provinciaux est essentielle: ils auront une influence déterminante sur l'évolution du paysage et sur la genèse du mouvement réaliste. Qu'on pense à Millet chez ses maîtres, Mouchel et Langlois, à Cherbourg, ou à Courbet, dont le premier maître est Flajoulot, professeur à l'école de dessin de Besançon. Et pourtant, Lamartine déclare à la Chambre des députés en 1841: "Paris est un immense atelier. L'Europe y vient, y admire, y achète, exporte nos produits partout..." Et, quarante ans plus tard, Levitan, le premier grand paysagiste russe, soupirera encore: "Être à Paris, vivre dans une ville animée d'une puissante vie artistique, tout est là."

Si la France, qui regarde avec quelque commisération ses voisins, est encore considérée à cette époque comme le centre de la création artistique, il n'en reste pas moins que les artistes n'hésitent pas à exposer à l'étranger: à Bruxelles en 1833, à Berlin en 1839, à Londres en 1844, mais aussi à Gand ou à Cologne.

 

Dissidences et modernité

Avec les Expositions universelles – la première se tient à Londres en 1851 –, c'est une nouvelle manifestation d'art officiel qui se déploie. En 1855, lorsque Paris accueille la troisième Exposition universelle, s'ouvre le temps des dissidences. Courbet, refusé par le jury, présente non loin de l'Exposition une quarantaine d'œuvres abritées dans une baraque, et accompagne cette "exhibition" d'un Manifeste du réalisme.

Désormais, à côté de l'art officiel présenté chaque année au Salon se tiendront des expositions individuelles ou collectives, telle celle des impressionnistes en 1874, mais également, à l'initiative de l'État, des Salons concurrents, telle l'éphémère Exposition triennale qui, décidée en 1882, disparaît en 1885. Entre-temps, en 1884 était apparue la Société des artistes indépendants, regroupant 200 artistes contestataires; elle organisa le Salon des indépendants, qui présentait dans sa première exposition des œuvres de Signac et de Seurat. En 1890, nouvelle sécession au sein de l'Académie: Meissonier, Puvis de Chavannes et Rodin créent une nouvelle Société nationale des beaux-arts, tandis que le Salon de la Société des artistes français reste sous la coupe de l'Institut.

Bientôt considéré comme plus ouvert aux critères commerciaux qu'à l'innovation, le Salon des indépendants est concurrencé en 1903 par le Salon d'automne, qui, outre des impressionnistes comme Renoir, des nabis comme Bonnard, accueillera l'avant-garde représentée par Gleizes, Jacques Villon, Vlaminck, Picabia, etc. C'est cependant le Salon des indépendants qui présentera en 1911 l'exposition collective des peintres cubistes, à laquelle, toutefois, Braque et Picasso préfèrent ne pas participer.

Mais, au tournant du XXe siècle, la France n'est plus l'épicentre du jaillissement des avant-gardes. En 1913, 300000 visiteurs viendront découvrir Cézanne, Van Gogh, Gauguin, Picasso, Gleizes, Matisse, Duchamp et Picabia à l'Armory Show, à New York, désormais l'un des nouveaux lieux de la création contemporaine, avec Bruxelles, Munich, Berlin et Moscou.

À côté des manifestes, almanachs et publications diverses, ce sont les expositions qui, après le Salon des Vingt à Bruxelles, en 1893, incarnent les avant-gardes: à Munich, la Sezession en 1894 et le Blaue Reiter en 1911; à Zurich, l'art abstrait international en 1926; à Moscou, le mouvement rayonniste en 1909. Paris n'est alors pas en reste avec, en 1908, une exposition consacrée à Braque, chez Kahnweiler; en 1912, une autre consacrée à la Section d'or; et, en 1938, l'Exposition surréaliste.

L'exposition, porteuse de sens, devient un puissant mode d'expression. C'est bien ce que comprendra l'État nazi lorsqu'il organisera, en 1937, à Munich, une exposition de triste mémoire destinée à dénoncer l'"art dégénéré". Après la Seconde Guerre mondiale, l'exposition reste cependant le lieu privilégié de la création, comme l'illustrent, entre autres, à Paris le Salon de mai (1945), "l'Art brut" de Dubuffet (1947), le Salon de la jeune peinture (1949); à Kassel, la Documenta (1955). La prolifération des expositions en Europe et en Amérique témoigne de leur rôle fondateur.

Parallèlement naît un nouveau type d'expositions, monographiques ou rétrospectives. Éléments d'une politique officielle de "diffusion culturelle", ces célébrations de masse sont contrebalancées par de petites expositions thématiques qui s'adressent aux amateurs et aux connaisseurs.

Aujourd'hui, la différence entre Salon et exposition est ténue, et seule la notion de périodicité liée au Salon peut distinguer l'un de l'autre. Il reste que le terme "exposition" garde une neutralité dont le mot "Salon" ne jouit pas: "Salon" reste connoté par le lien étroit qu'il entretint pendant trois siècles avec l'Académie et avec le pouvoir politique, puis aujourd'hui par l'ombre du commerce qui plane sur lui: la FIAC est bien, comme son nom l'indique, une Foire internationale d'art contemporain, face à laquelle des expositions comme "Le vide" d'Yves Klein (1958), "Le plein" d'Arman (1960) ou les expositions-performances apparaissent comme actes créateurs qui finissent par se confondre avec l'œuvre elle-même.